Les Catalogues
Théodule Ribot (1823-1891)
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Introduction
par Gabriel P. Weisberg, Ph.D.
Malgré l’absence d’une étude approfondie sur son œuvre, et de trop rares publications retraçant son parcours (1), Théodule-Augustin Ribot (1823-1891) reste l’un des artistes les plus exigeants du mouvement réaliste.
L’ensemble de dessins présentés ici révèle l’importance accordée au médium par l’artiste – et pas seulement dans la préparation de ses compositions peintes. Ses dessins traduisent souvent des impressions personnelles ou tournent autour d’une idée ou d’un motif sur lequel il travaille. Plusieurs groupes se distinguent ici : des études de figures, dont plusieurs portraits de sa famille ; des paysages et des marines ; des études de Bretonnes ; des études de crânes ; et des études de mains.
L’ensemble le plus conséquent est l’ensemble des études de mains. Si chaque groupe apporte un éclairage significatif sur la compréhension de l’œuvre de Ribot, il convient de commencer par les études de mains. Elles comptent en effet parmi ses études les plus expressives et les plus spontanées, et Ribot reviendra sur ce thème toute sa vie.
Les études de mains par Théodule Ribot
Lors de l’exposition organisée en 1885 rue de la Paix, Ribot expose plus d’une centaine de dessins, dont plusieurs études de mains. Certains observateurs pensaient qu’il préparait une œuvre peinte dans laquelle les mains jouaient un rôle particulier. Ribot travaille à l’encre, à l’aquarelle, au fusain ou au crayon noir. Il crée ainsi des œuvres de petit format d’une grande spontanéité, qu’il apprécie autant que ses peintures.
Un critique contemporain rapporte que Ribot considérait le dessin comme un moment de détente pour « se reposer du tableau » (2). Certains soirs par exemple, à la lumière de la lampe, quand il n’avait rien d’autre à faire, il dessinait « les mains de ma femme ou de ma fille » (3). Il connaissait bien ces mains ; elles exprimaient le dur labeur, les longues heures d’activités sans relâche.
Le même critique déclarait qu’un jour les études de mains de Ribot feraient la fierté d’un musée – et ne seront pas achetées uniquement par des collectionneurs particuliers (4). Aujourd’hui ces études constituent une part significative de l’exposition.
Tout comme les études de visage, les études de mains peuvent traduire le caractère d’une personne ou son activité. Elles peuvent être expressives, émouvantes, originales, et comme telles, se substituer à un portrait. On peut même considérer qu’elles reflètent l’intérieur de l’âme.
Ribot semble avoir été obsédé par le sujet. Certaines feuilles montrent une main entière dans différentes positions ; d’autres juste des doigts, pliés ou tendus. Seule l’une d’entre-elles montre une main tenant un objet. La simplicité de traitement de ces études, libres de tout artifice, leur confère une certaine majesté.
Le nombre total de ces études reste indéterminé, mais l’on sait que certains collectionneurs en possédaient plusieurs. Individuellement et collectivement, ce groupe témoigne de la force de travail de l’artiste. Il rappelle aussi, avec les rapides études de portraits et de cranes, comment Ribot et ses contemporains exerçaient leur œil et aiguisaient leur technique.
Main gauche
Plume et encre noire
9,5×10 cm
Monogramme de l’artiste en bas à droite
La famille de Théodule Ribot
La famille de Théodule Ribot a joué un rôle déterminant dans sa vie et son art. Sa femme et ses enfants comptaient non seulement parmi ses premiers soutiens, mais ils étaient ses modèles préférés et toujours d’une grande disponibilité.
Il les a dessinés et peints de manière constante, et dans toutes les attitudes : cousant, écrivant, comptant de l’argent, priant, conversant. Il les a représenté en variant les éclairages, tantôt seuls ou en groupe. Il s’apparente ainsi à Rembrandt, qui a lui aussi beaucoup utilisé les membres de sa famille comme modèles (5).
Pour Ribot cela représentait aussi une économie. Son modèle préféré était sa fille Louise-Aimée Ribot (1857-1916), comme en témoigne la grande variété de ses portraits, du tableau sensible de grand format aux petites études à la plume et à l’encre. Plusieurs de ces études ont figuré à l’exposition commémorative de l’Ecole des Beaux-Arts de 1892, organisée un an après sa mort. Les portraits de Louise seule, ou avec sa mère, ont eu apparemment beaucoup de succès auprès des collectionneurs privés6. Un dessin exposé à l’Ecole des Beaux-Arts Ribot, sa femme et sa fille à Trouville confirme que Ribot et sa famille se rendaient en Normandie. Dans certains dessins, les yeux de Louise sont remplis d’émotion ; dans d’autres, elle semble triste ou anxieuse, reflétant peut–être les difficultés de la vie de l’artiste et de sa famille.
Ribot s’est intéressé aussi aux figures normandes, qui apparaissent dans des dessins mais aussi des peintures. Il concentre souvent son attention sur le visage du modèle, transmettant ainsi rapidement l’émotion d’une figure assoupie ou regardant dans le vide.
Les marines
Les séjours en Normandie ou sur la côte bretonne lui permettaient de s’échapper de son atelier de Colombes et plus tard de celui d’Argenteuil. Il aimait observer le ballet des bateaux sur l’eau. Un des dessins montrant un bateau à voile glissant sur la mer suggère une jetée en bois. D’autres scènes montrent un bateau à vapeur voguant vers le large, de la fumée sortant de ses cheminées. Certaines sont prises à l’aube, d’autres au coucher de soleil. La plupart sont rapidement esquissées, comme si l’artiste assistait à une régate.
Ces dessins mettent en évidence l’attraction de la mer sur Théodule Ribot. Il créa aussi des illustrations pour le roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la mer (1866) et écrivit un article pour la Revue Illustrée (1885-86) intitulé La Marie-Henry, décrivant le naufrage du bateau de pêche La Marie-Henry Hot 25 au large de Trouville.
Les bretonnes
De ses séjours en Bretagne date une autre série de dessins consacrés aux bretonnes. Elles sont souvent représentées en groupes, assises, conversant ou s’attelant à leurs taches quotidiennes comme la couture ou la cuisine. Elles portent invariablement un châle noir, un tablier et la coiffe blanche caractéristique de la région.
Les plus belles feuilles de cette série ont fait partie de collections privées, comme celle du critique d’art Roger Marx (1859-1913), dont le goût pour l’artiste était bien connu en son temps. Ces dessins témoignent aussi de l’intérêt de l’artiste pour les scènes de groupes informels, qu’il retravaille constamment avant de trouver le bon agencement.
Mortalité
Rarement un artiste du XIXe siècle n’aura pensé autant à la mort, la sienne ou celle des autres, que Ribot. Tourmenté par la maladie une grande partie des dernières années de sa vie, il songeait beaucoup à ce qui resterait de lui après sa mort. Malgré la satisfaction de voir ses deux enfants – Louise et Germain Théodore (1845-1893) – commencer une carrière de peintre et ainsi maintenir l’esprit créatif de la tradition familiale, Théodule Ribot était hanté par la brièveté de la vie et la fragilité de l’existence. Inspiré par des peintures du XVIIe siècle aux sujets mortuaires, il a traité plusieurs fois le thème du temps qui passe et de l’inévitabilité de la mort.
Avec ses ombres prononcées, les études de crânes de l’exposition reflètent l’intérêt de Ribot pour les natures mortes observées sous une lumière intense. Le sentiment de désolation de ces compositions leur confère une certaine puissance, invitant inévitablement à une réflexion sur la mortalité. Tout comme les études de mains, le nombre d’études de crânes dessinées par Ribot reste indéterminé, mais elles sont probablement nombreuses.
La provenance Aizpiri
De nombreuses feuilles de l’exposition présente ont figuré à l’Exposition rétrospective Th. Ribot – Peintre et Aquafortiste, organisée en mai 1934 par les Amis des Arts de Colombes. Le catalogue de l’exposition montre l’ampleur et la variété de la collection de M.Aizpiri. Depuis lors, les dessins semblent ne pas avoir été exposés au regard de l’état de fraîcheur des feuilles. Ils ont été conservés par la famille du collectionneur comme un ensemble montrant l’étendu du répertoire de l’artiste qui pouvait s’en servir pour des compositions plus importantes.
Conclusion
Théodule Ribot était apprécié de ses collègues artistes, qui le considéraient comme une figure indépendante et dont l’œuvre exigeait vigueur et franchise. Il était aussi d’une grande humanité, et fidèle en amitié. Au moment où son énergie diminue, la demande pour ses œuvres augmente. Comme nous l’avons souligné plus haut, plusieurs critiques écrivirent sur lui. Les marchands venaient voir son travail, et tout particulièrement le galeriste parisien Bernheim Jeune, qui a organisé plusieurs expositions de ses œuvres. Ces expositions mélangeaient souvent dessins et peintures.
Ribot n’a jamais cessé de créer, et le fait qu’il ait continué de travailler jusqu’à la fin de sa vie, même lorsque sa santé déclinait, laisse un œuvre important. Dans les moments où il délaissait la peinture, il se consolait avec des dessins de petite taille, comme ceux présentés ici, qu’il ne pouvait s’empêcher de produire.
1 . Dominique Lobstein, Théodule Ribot (1823-1891), Musée Roybet Fould, Courbevoie, 2018. Voir aussi Gabriel P. Weisberg, The Realist Tradition: French Painting and Drawing, 1830-1900, Cleveland: The Cleveland Museum of Art, 1980.
2 . Perdican, “Courrier de Paris,” L’Illustration: Journal universel (March 14, 1885), no. 2194, p. 170
3 . Idem
4 . Idem
5 . Ribot a eu cinq enfants, mais seuls deux ont survécu. Voir Dominique Lobstein (2018).
6 . Voir Exposition TH. Ribot au Palais National de l’École des Beaux-Arts, Paris, Mai 3-31, 1892, nos. 163 et 164.
