Les Satellites de Watteau - Les Cahiers du dessin français n°22

Les Satellites de Watteau

par Axel Moulinier

Cahiers du dessin français n°22

Publié en mars 2020

Sommaire

  • Introduction
    • Texte d’ouverture  Lire
    •  Nicolas Vleughels (Paris, 1668 – Rome, 1737)
    • Claude Gillot (Langres, 1674 – Paris 1722)
    • Jacques Jean Spoede (Anvers, vers 1680 – Paris, 1757)
    • Pierre Angillis (Dunkerke, 1685 – Rennes, 1734)
    • Philippe Mercier (Berlin, vers 1689 – Londres, 1760)
    • Nicolas Lancret (Paris, 1690 – id., 1740)
    • Jean-Baptiste Pater (Valenciennes, 1695 – Paris, 1736)
    • Pierre Antoine Quillard (Paris, v.1700 – Lisbonne, 1733)
    • Bonaventure de Bar (Paris, 1700 – id., 1729)
    • Conclusion
    • Table des illustrations
    • Bibliographie
  • Catalogue

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Extrait de l’introduction

Antoine Watteau (Valenciennes, 1684 – Nogent-sur-Marne, 1721) est l’un des dessinateurs les plus prolifiques du premier XVIIIe siècle. On estime à six mille le nombre de dessins qu’il aurait laissés après sa mort (1). De cette masse qui a subi destructions, découpages, remontages, disparitions, réapparitions, attributions et désattributions, un catalogue raisonné a été rédigé en 1996 par Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat (2). Cet ouvrage est une référence absolue qui fait suite à un premier catalogue raisonné établi par Karl Theodore Parker et Jules Mathey (3). Dans le plus récent des deux ouvrages, la seconde partie consacrée aux dessins rejetés est symptomatique du corpus dessiné de Watteau qui n’a, selon les témoignages d’archives, pas eu d’élèves à proprement parler, à l’exception de Jean-Baptiste Pater (Valenciennes, 1695 – Paris, 1736). Il eut pourtant une importante cohorte d’émules dont témoignent les huit cent cinquante-huit dessins rejetés du catalogue de 1996. Certaines attributions généreuses étaient faciles à rectifier. Ainsi, les mentions « cercle de », « école de » ou « suiveur de » sont venues précéder le nom de Watteau. Or, quelques feuilles ont résisté à ces étiquettes vagues et pourtant pertinentes, en particulier celles des « maîtres », des collaborateurs, des suiveurs, des émules ou bien encore des « satellites » comme les avait si bien nommés Robert Rey (4). À la mort de Nicolas Lancret (Paris, 1690 – id., 1743), Ballot de Sovot dans son Éloge du peintre résumait la situation avec clairvoyance : « les maîtres sont bons pour instituer dans l’Art et y conduire, jusqu’à ce qu’on en connaisse les routes ; passé cela, on court risque de n’être jamais qu’un copiste ou un servile imitateur (5). » Avec dureté, Rey considérait que « leur gloire ne leur survécut pas ; et c’est justice, car ils n’avaient que du talent, et encore, un certain genre de talent (6). » Depuis, aucun autre ouvrage ne s’est entièrement consacré à ces artistes alors considérés de second rang. au XXe siècle, le sujet de l’entourage des grands maîtres a été considéré comme secondaire dans l’écriture de l’histoire de l’art français, à l’instar de celui de Simon Vouet dont l’un des plus grands collaborateurs, Michel Dorigny (Saint-Quentin, 1616 – Paris, 1665), a fait l’objet du précédent Cahier du dessin français sous la plume de Damien Tellas.

 

Les années 1920-1930 ont vu se développer en France quelques études majeures. Les grands monographistes Émile Dacier, Jacques Hérold et Albert Vuaflart signent dès 1922, l’incontournable Jean de Jullienne et les graveurs de Watteau au XVIIIe siècle (7). Deux ans plus tard, le catalogue Lancret (8) revient à un nom essentiel de l’univers wattesque, celui de Georges Wildenstein. En 1931, Bernard Populus publie le Catalogue de l’œuvre gravé du maître de Watteau, Claude Gillot (Langres, 1673 – Paris, 1722) (9). La même année, c’est Robert Rey qui le premier rédige un ouvrage consacré à Quelques satellites de Watteau : Antoine Pesne et Philippe Mercier, François Octavien, Bonaventure de Bar, François-Jérôme Chantereau, pour sa thèse complémentaire de doctorat ès lettres (10). C’est à cet ouvrage que le titre du présent Cahier du dessin français fait référence. il est suivi de près par un audacieux Autour de Watteau, publié en 1932 (11).

 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’étude de l’entourage de Watteau connaît un essor considérable outre-atlantique, manifestement lié à l’arrivée aux États-Unis en 1941 de Georges Wildenstein. Pour comprendre la personnalité et l’œuvre de chacun de ces artistes, il fallait réamorcer les recherches à partir des origines : l’œuvre de Watteau. Dès 1965, Martin Eidelberg consacre sa thèse précisément à ses dessins (12). Puis, Margaret Morgan Grasselli les étudie à son tour dans le cadre de l’exposition internationale de 1984, qui nourrit son travail de thèse soutenue en 1987 (13), permettant ainsi une réévaluation des « suiveurs ». En 1985, Mary Tavener Holmes soutient sa thèse consacrée à Nicolas Lancret (14), tandis qu’en 1999, un ouvrage majeur sous la direction d’Alan Wintermute s’intéresse aux grands noms de cette galaxie wattesque dans Watteau and His World (15). En 2002, Jennifer Tonkovich étudie partiellement l’œuvre de Claude Gillot, en se consacrant aux dessins de théâtre de l’artiste (16). Margaret Morgan Grasselli a réalisé les travaux les plus précis sur les suiveurs principaux que sont Nicolas Lancret et Jean-Baptiste Pater, redéfinissant les écritures graphiques des deux artistes (17). Faut-il le souligner, les chercheurs et experts des satellites de Watteau sont dorénavant quasiment tous américains à quelques exceptions près. Xavier Salmon a rédigé un Cahier du dessin français sur Jacques André Portail (Brest, 1695 – Versailles, 1759) et Florence Raymond a consacré son mémoire de maîtrise à L’œuvre dessiné de Jean-Baptiste Pater (1695-1736) dans les principales collections publiques françaises (18). Ce dernier mémoire n’a jamais été publié et peu des brillants ouvrages anglo-saxons mentionnés ont été traduits, rendant la diffusion de la connaissance moins aisée à un public français amateur des feuilles de ces petits maîtres.

 

Il sera ici question d’étudier neuf artistes choisis pour leur proximité avec Watteau, dont les dessins émergent souvent en salle des ventes, sans pour autant que leurs styles soient immédiatement identifiables.

 

D’aucuns regretteront peut-être l’absence des Frères Octavien (19), de Jérôme-François Chantereau (Paris, vers 1710-1715 – id., 1757) (20), de Michel Barthélemy Ollivier (Marseille, 1712 – Paris, 1784) (21) et d’autres encore. Leurs liens avec Watteau sont plutôt ténus, leurs corpus limités et il n’a pas semblé essentiel de revenir sur leurs carrières au vu des derniers articles parus. Les artistes sélectionnés ont été abordés dans l’ordre chronologique de leur naissance ce qui permet de remettre en question la centralité de la figure de Watteau – cette dernière découlant d’une écriture historiographique orientée. La plupart de ces artistes sont nés seulement quelques années avant ou après Watteau. Son maître, Claude Gillot, n’est que de dix ans son aîné. Les noms de Vleughels, Spoede et Angillis gagnent à être inscrits dans cette démarche chronologique qui met en évidence un élan général de Zeitgeist qui a permis l’avènement de schémas wattesques. La plupart des travaux de recherche sur les biographies et parcours artistiques des neuf artistes étudiés ayant déjà été menés, il n’a pas été jugé nécessaire de retracer systématiquement leur itinéraire. Lorsque cela était possible, quelques précisions ont été apportées. S’il nous a parfois fallu nous inscrire dans la très traditionnelle démarche de comparaison de ses satellites avec Watteau, l’essentiel de notre analyse tend à souligner les spécificités des mains abordées.

 

1. Baticle J., « Le chanoine Haranger, ami de Watteau », Revue de l’Art, 1985, vol. 69, no 1, p. 56.
2. Rosenberg P. et Prat l.-A., Antoine Watteau, 1684-1721 : catalogue raisonné des dessins, Paris, Milan, Gallimard-Electa, Leonardo Arte, 1996, 3 vol. Ci-après abrégé en Cat. r&P.
3. Parker K.T. et Mathey J., Catalogue de l’œuvre dessiné d’Antoine Watteau, Paris, F. de Noble, 1957, 2 vol.
4. Rey R., Quelques satellites de Watteau : Antoine Pesne et Philippe Mercier, François Octavien, Bonaventure de Bar, François-Jérôme Chantereau, thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres, Paris, librairie de france, 1931.
5. Ballot de Sovot et Guiffrey J. (dir.), Éloge de Lancret : peintre du roi, Paris, J. Baur, 1874, p. 18.
6. Rey R., ibid., p. 3-4.
7. Paris, Rousseau, 1922.
8. Paris, Les Beaux-arts, 1924.
9. Paris, Secrétariat et trésorerie de la société pour l’étude de la gravure française, 1931.
10. Paris, Librairie de France, 1931.
11. Paris, Alvin-Beaumont, collection « Pedigree : erreurs et vérités en art », 1932.
12. Eidelberg m., Watteau’s Drawings Their Use and Significance, Princeton university, 1965.
13. Grasselli m.m., The Drawings of Antoine Watteau: stylistic development and problems of chronology, Cambridge, Harvard University, 1987.
14. Tavener Holmes m., Nicolas Lancret and Genre Themes of the Eighteenth-century, New York University, Graduate School of Arts and Science, 1985.
15. Wintermute A., Watteau and His World: French Drawing from 1700 to 1750 [cat. exp. New York, the Frick collection, 19 octobre 1999-9 janvier 2000 ; Ottawa, The National gallery of Canada, 11 février-8 mai 2000], Londres, New York, Merrell Holberton Publishers ; American Federation of Arts, 1999.
16. Tonkovich J., Claude Gillot and the Theater with a Catalogue of Drawings, N.J., Rutgers The State University of New Jersey, 2002.
17. Grasselli M.M., « Eleven New Drawings by Nicolas Lancret », Master Drawings, vol. 23/24, n° 3 (1985/1986), p. 377-389 et 467-474 ; Grasselli M.M., « Following in Watteau’s line: Some Drawings by Jean-Baptiste Pater », Master Drawings, vol. 38, no 2 (summer, 2000), p. 159-166 ; Grasselli M.M., « Lancret Revisited: a Dozen New Drawings from the Collection of Lord Rothschild », Master Drawings, vol. 44, no 4, French Drawings (Winter, 2006), p. 450-463.
18. Sous la direction de Sophie Raux, université de Lille, 2002. Nous remercions Florence Raymond de nous avoir permis de lire ce précieux travail.
19. Voir Glorieux G., « Un peintre peut en cacher un autre. François Octavien (1682-1740) et son frère », Techné, nos 30-31, 2009-2010, p. 218-227.
20. Voir Rosenberg P., « Ni Bencovitch, ni Restout mais Chantereau », Artibus et historiae, 2007, vol. 28, no 55, p. 173-178.
21. Voir Reynaud G., « Les Ollivier, peintres et sculpteurs marseillais, XVIIe-XVIIIe siècle », Provence historique, 2007, p. 257-268.